Céréales à paille : Comment diagnostiquer d’éventuels dégâts liés au froid ?

Suite à la séquence de froid qui a touché la France durant la dernière décade d’avril, des questions émergent sur la réaction des céréales à paille. Dans de nombreux secteurs, la séquence climatique est totalement inédite à cette échelle. Dans le doute, une observation précise des plantes s’impose.

 

 

Ne pas confondre seuils d’alerte et seuils de dégâts

Il n’existe pas de seuils fiables de la sensibilité des céréales à des accidents climatiques.

Les repères historiques retenus chez ARVALIS – Institut du végétal doivent être considérés comme des seuils d’alerte, pas des seuils de dégâts. Les conditions d’apparition du froid ou du gel au champ sont très variables et les références reposent souvent sur des températures « station météo », sous abri, à 1,5 m du sol, donc forcément différentes de celles effectivement ressenties par les cultures.

Concernant le gel d’épi, le seuil habituellement retenu est de -4°C, peu après épi 1 cm. Cependant, la hauteur de l’épi dans la tige et son état de développement font fluctuer sa résistance au cours de la montaison.

L’altération de la méiose mâle est également mal renseignée. Autour de la terminologie « méiose », il faut distinguer la méiose au sens cytologique (réorganisation des chromosomes) qui dure quelques heures à l’échelle de la cellule et quelques jours à l’échelle de la parcelle, et toute la phase de constitution du pollen et des anthères, qui s’étale sur plus d’une semaine. Les facteurs de stress sont multiples : températures basses (< 2°C) et hautes (> 30°C), rayonnements faibles, sécheresse, carence (induite) en bore et/ou cuivre, avec un effet prépondérant des faibles rayonnements sur les températures.

 

Quatre types de dégâts possibles

Avant ou autour du stade 2 nœuds : destruction de l’épi

A ce stade, l’épi est encore petit (< 2 cm), avec des structures fortement turgescentes et fragiles, globalement sensibles au gel. Dans ces circonstances, un dégât de gel va se manifester par une destruction généralisée des cellules, et une perte d’eau. L’épi va donc rapidement perdre son aspect brillant et turgescent, et se nécroser. Il est possible que la nécrose se propage à la feuille drapeau, qui va dépérir rapidement. L’épi ainsi touché disparait progressivement, de même que la tige qui le porte. En coupant la tige en deux, on aboutit donc rapidement à un diagnostic définitif.

Crédit : UCATA

Après 2 nœuds, les dégâts se limitent à une partie de l’épi

Passé le stade 2 nœuds, l’épi croît rapidement (2 à 10 cm) et sa structure devient plus différenciée et en apparence solide. Les dégâts de gel sont davantage susceptibles de se limiter à une partie (aléatoire) de l’épi ; ils vont entraîner la destruction des pièces florales internes en cours de différenciation, sans faire totalement disparaître les glumes et glumelles déjà initiées.

Dans ces situations, il faut évaluer la part de l’épi touchée : les épillets non touchés pourront continuer à se développer, et à compenser une partie de la perte de rendement si les conditions ultérieures le permettent. Il faut donc sortir l’épi de la gaine (sur maître-brin et sur talles principales, plus plusieurs plantes) pour estimer un pourcentage d’épillets détruits.

Crédits : Luc Pelcé/Diane Chavassieux (orge d’hiver) ; Matthieu Killmayer (blé tendre)

Feuilles gelées : des impacts limités

On peut rajouter le risque de dégâts foliaires, avec l’extrémité des limbes qui se nécrosent. Les sensibilités variétales semblent importantes, mais l’impact final est sans doute limité tant que les dégâts se limitent au feuillage.

Crédits : Edouard Baranger (gauche)/Philippe Hauprich (droite)

Altération de la méiose : attendre la floraison pour un diagnostic fiable

Pour une altération de la méiose, il n’y a pas d’observation réalisable à l’œil dans l’immédiat ; il est préférable d’attendre la floraison et le début de mise en place des grains. Une observation des anthères et des grains de pollen à la loupe binoculaire est néanmoins réalisable, mais le diagnostic ne porte que sur la formation des anthères et du pollen, pas sur la viabilité de ce dernier.

Températures mesurées et températures ressenties

Les conditions d’apparition du froid ces dernières semaines étaient liées au refroidissement nocturne. Il s’agit d’un phénomène de « gelées blanches », lié à des conditions anticycloniques et à l’absence de couverture nuageuse pendant la nuit. Le sol perd donc sa chaleur pendant la nuit, et entraîne le refroidissement des couches d’air juste au-dessus, avec un minimum de température atteint au ras du sol, au moment du lever du soleil.

Il faut donc retenir plusieurs éléments :
– La température fluctue au cours de la nuit : la température minimale retenue par les stations météo est la température la plus extrême. Mais elle n’a pu être atteinte que pendant une demi-heure.

– La température varie avec la hauteur : les stations météo mesurent la température à 1,5 m du sol. La végétation basse rencontre donc une température encore inférieure dans ce schéma de gelées blanches (au moins 2,5°C de moins à la surface de la végétation par rapport à la température relevée sous abri).

– La température dépend fortement du relief : l’air froid est plus dense et se concentre dans les cuvettes. Les thalwegs, les fonds de vallée, les mardelles et manières sont donc beaucoup plus exposées. Au sein d’un département, les minimas peuvent varier de plus de 5°C au cours de la même nuit.

– La proximité de végétation (haies, arbres, forêts) peut agir de différentes façons : elle limite le réchauffement diurne, mais surtout réduit le rayonnement nocturne (et donc le refroidissement). Une haie ou un talus peut par contre ralentir les écoulements d’air froid pendant la nuit et engendrer une poche de gelée.

– L’humidité du milieu (de l’air ou du sol) augmente la chaleur latente/de congélation : elle peut ralentir la chute des températures au cours de la nuit.

Les facteurs aggravants

Il est possible que certaines situations culturales modulent l’impact du gel (peu de références, à prendre avec précaution) :
– Le stress hydrique : le manque d’eau dans le milieu peut engendrer une chute plus rapide et forte des températures ; cependant, les plantes sont moins turgescentes, et la pression osmotique dans leurs cellules sans doute plus élevée, rendant les plantes moins rapidement gélives.

– L’irrigation : l’apport d’eau récent devrait avoir un effet de temporisation du froid mais il peut s’accompagner d’une fragilisation de la plante (turgescence en hausse, entrée d’eau dans les gaines, notamment à DFE/gonflement.

 

Méthodologie d’observation proposée

La notation des dégâts va donc être délicate en lien avec la difficulté d’observation des organes touchés (épis), la variabilité entre tiges (les épis du maître-brin et des différentes talles ne sont évidemment pas au même stade), et l’hétérogénéité du milieu (micro-relief, zone d’écoulement d’air, nature du sol).

Nous proposons donc la méthodologie suivante :
– Prélèvement par parcelle ou zone représentative (voir ci-dessus pour identifier des zones différenciées) de 5 plantes au minimum choisies aléatoirement.

– Sélection du maître-brin et des 2 tiges principales.

– Pour des céréales n’ayant pas encore dépassé le dernière feuille étalée (l’épi mesure moins de 5 cm, les pièces florales sont encore petites) : section de la tige dans le sens de la longueur et observation de l’épi (observation à l’œil ou la loupe, de préférence au laboratoire pour avoir de bonnes conditions d’observation) : noter si l’épi est détruit (voir photos ci-dessous).

Gel d’épi dans la tige avant 2 noeuds (l’épi est nécrosé).

– Pour les céréales ayant dépassé DFE (l’épi mesure plus de 5 cm) : repérage de l’épi au toucher, section de la tige juste sous l’épi et déroulement des gaines des feuilles qui l’entourent (observation à l’œil nu, au champ si l’épi est détruit ou si des épillets sont touchés (blancs et/ou atrophiés ).

Gel courant épiaison provoquant des destructions partielles et localisées des épillets => épillets blancs. Cas fréquents. Les épillets ont perdu l’eau qu’ils contenaient.

Les compensations possibles

Ces accidents vont altérer le nombre de grains par m². Cependant, des compensations sont possibles :
– Lorsque l’épi est détruit tôt (avant 2 nœuds), la tige régresse et cède la place aux autres talles. L’impact peut être limité si la densité finale d’épis reste satisfaisant. Il existe cependant un risque avec une reprise de tallage et la montée de tardillons : ils pourraient être récoltés encore verts lors de la moisson.

– Lorsque des épillets sont détruits, il peut y avoir une compensation à la marge sur la fertilité des autres épillets et le PMG. On peut estimer qu’une perte de 10 % des épillets va se traduire par une pénalité de rendement de 5 à 8 % en blé (espèces pour lesquelles on peut escompter une compensation sur la fertilité épi et le PMG), et de 8 à 10 % sur orge (où seul le PMG permet un rattrapage)

Dans tous les cas, l’échantillonnage est important, et doit porter sur le maître-brin et sur 1 ou 2 talles (selon l’espèce et la densité de plantes). Une estimation visuelle trop rapide risque de conduire à une sur-estimation des dégâts (les épillets blancs ou altérés « tapent à l’œil » ; il est donc nécessaire de réaliser un comptage soigné.

Jean-Charles DESWARTE (ARVALIS – Institut du végétal)

 

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