Quelles sont les conséquences prévisibles des excès d’eau sur céréales ?

Les cumuls de pluies historiques de ces deux derniers mois sont synonymes de longue période d’engorgement en eau des sols. Engorgement qui peut présenter plusieurs conséquences sur les céréales à paille.

Des pluies excédentaires… mais pas partout

A la différence de l’hiver dernier, la période de tallage se fait cette année avec des excès d’eau marqués dans de nombreuses régions de France. Certains secteurs semblent moins affectés, soit à cause de précipitations moindres (cas du Centre-Ouest), soit parce que les sols ont mis du temps à se recharger en eau après un été et un début d’automne très sec (cas de la Normandie).

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Dans les secteurs où le drainage a débuté tôt (Ile-de-France par exemple), la succession d’épisodes de pluies depuis début décembre, et surtout depuis Noël, engendre un engorgement en eau quasi-permanent des sols. Le nombre de jours où P-ETP est supérieur à 0 entre le 1er décembre et le 20 janvier, est presque partout égal à un décile 9 (1 année sur 10). Dans de telles conditions, les racines ne peuvent pas fonctionner correctement, et cela se répercute sur la croissance des parties aériennes.

Conséquences sur l’enracinement

En remplissant les interstices du sol par de l’eau, les pluies récurrentes chassent l’air du sol et génèrent un milieu anoxique (absence d’oxygène). Cela aboutit à un ralentissement voire un arrêt complet de la croissance des racines, et à un très net ralentissement de leur métabolisme.

Des travaux australiens indiquent que les racines séminales cessent toute élongation en situation d’hydromorphie, alors que les racines adventives croissent à un rythme moindre. A la levée de l’excès d’eau, les premières ne reprennent plus leur croissance, alors que les secondes recommencent à croître normalement.

Sur la base de ces éléments, on peut distinguer 2 situations :
– Les semis relativement précoces qui ont réussi à atteindre le tallage sans trop d’excès d’eau. Ils peuvent avoir initié un système racinaire (adventif) qui explore lentement le profil malgré l’apparition de l’hydromorphie.
– Les semis tardifs, dont les plantes n’ont pas encore commencé à taller. Leur seul système racinaire développé (racines séminales) est fortement pénalisé par les excès d’eau.

Au-delà de l’extension du système racinaire se pose évidemment la question de la fonctionnalité des racines. L’anoxie pénalise très fortement la capacité des plantes à absorber les éléments minéraux. Et les carences minérales deviennent rapidement le premier frein à la croissance des plantes.

Conséquences sur la croissance et le développement

Les conditions climatiques de l’hiver 2017-2018 sont doublement défavorables à la croissance des parties aériennes : d’une part, les rayonnements faibles limitent la photosynthèse, et d’autre part, l’excès d’eau pénalise l’activité des racines.

Le potentiel de croissance offert par les températures douces et l’absence de gel n’est donc pas valorisé par les plantes, notamment dans les situations les plus humides.

L’excès d’eau peut également avoir un effet de frein sur la phénologie des cultures, frein déjà observé en 2014 dans certains secteurs du nord et l’ouest de la France, où les excès d’eau fin tallage et début montaison avaient retardé le cycle des cultures. L’explication est double : d’abord, un sol saturé d’eau peine à se réchauffer, ce qui agit sur les températures ressenties par la plante, notamment au niveau de l’apex ; ensuite, la croissance ralentie freine l’allongement des entre-nœuds, ce qui aboutit à une montaison lente et éventuellement à des plantes courtes.

Conséquences sur les composantes de rendement

Les plantes de blé courant tallage résistent relativement bien à l’excès d’eau : tant que les feuilles ne sont pas submergées, les plantes restent vivantes, même si leur croissance est très ralentie.

Par contre, si les plantes sont totalement immergées quelques jours (cas des mouillères ou des zones inondées), ou touchées par l’hydromorphie juste à la levée, il est plus que probable que les pertes soient totales.

Lorsque les plantes sont touchées par un excès d’eau non létal, le tallage s’arrête. En effet, l’arrêt de l’absorption de l’azote par les racines induit une carence azotée au niveau des parties aériennes, qui inhibe l’émission des talles. Ceci est réversible lorsque les conditions s’améliorent, mais ce n’est pas forcément souhaitable : les talles qui apparaîtraient tardivement resteraient chétives et très peu concurrentielles par rapport aux talles principales. Si chaque plante porte 2 ou 3 tiges correctement développées, la suite de l’élaboration du rendement n’est pas forcément compromise.

La mise en place des composantes suivantes va surtout dépendre du moment de levée du stress : si l’excès d’eau disparaît avant le stade épi 1 cm, la situation est « physiologiquement » rattrapable : le maintien de 2-3 tiges par plante, et l’élaboration de la fertilité épi doivent permettre d’atteindre un nombre de grains/m² suffisant ; par contre, la réalité agronomique peut compliquer les choses : il faut être en capacité d’alimenter correctement les plantes dès la reprise de croissance, et de compenser le retard d’absorption d’azote. Des apports fractionnés et retardés sont donc très souvent nécessaires.


Excès d’eau : les conséquences en chiffre

Les conséquences d’un excès durable d’eau avaient été évaluées en 2001 sur une plateforme d’essais dans la Beauce (Ouzouer-le-Marché, 41). Un site d’essai a été touché par une hydromorphie durable (plusieurs mois).

La comparaison avec un autre site d’essai proche, non touché par cet excès d’eau, a permis de chiffrer quelques impacts sur la croissance des plantes et les composantes de rendement :
– Tallage réduit (-46 % de talles développées)
– Densité d’épis réduite (-33 %)
– Fertilité épi très légèrement impactée → pas de compensation : -41 % de grains/m²
– Très léger rattrapage sur le PMG → -34 % de rendement final)
– Biomasse à Z30 : -40 % ; statut azoté : très carencé (INN=0,6) ; la parcelle touchée par l’hydromorphie ne rattrape jamais son retard de biomasse et de statut azoté.
– Les stades sont retardés : -15 jours à Z30, épiaison également retardée.


Conséquences possibles sur la fertilisation

La douceur au cours de l’automne et de l’hiver a été favorable au maintien d’une minéralisation modérée. La quasi-totalité du territoire est concernée. Par contre, les niveaux d’excès d’eau et de drainage sont très différents selon les secteurs.

– Les zones les moins arrosées (Pays de la Loire, Poitou-Charentes) peuvent espérer des niveaux de lixiviation faibles à modérés, et par conséquence des reliquats azotés moyens à élevés. Parallèlement, les quantités d’azote absorbées par les cultures devraient rester dans une gamme habituelle.

– Dans les secteurs les plus arrosés, où les lames drainantes peuvent atteindre ou dépasser 250 mm d’eau depuis l’automne, on peut craindre une perte importante d’azote, ou du moins un entraînement dans les horizons profonds (où les racines sont sans doute peu actives à cause de l’excès d’eau). Du côté de l’absorption par les cultures, on peut s’attendre à des différences significatives entre parcelles ou entre zones d’une même parcelle, selon la date de semis, la capacité de la culture à s’installer avant les excès d’eau, et la présence éventuelle d’hydromorphie.

Les fortes précipitations ont également un pouvoir de lixiviation du soufre. Il est donc recommandé de vérifier le niveau de risque de carence pour cet élément dès la reprise de végétation.

Jean-Charles DESWARTE (ARVALIS – Institut du végétal)