Dégâts hivernaux sur céréales à paille : Faut-il envisager un resemis ?

L’excès d’eau et le gel ont pu pénaliser les cultures de céréales d’hiver au point de s’interroger sur la nécessité de resemer. Il est encore trop tôt pour décider ; néanmoins, voici quelques éléments de réflexions avant d’en arriver à cette extrémité.

Dans tous les cas, la démarche doit débuter par un double inventaire :
– Un inventaire sur la culture en place : quelle est l’intensité des dégâts ? Les plantes restantes sont-elles saines et indemnes ? Les conditions climatiques sont-elles les seuls facteurs limitants ?
– Un inventaire sur les alternatives possibles : quel peut être le bilan économique d’une culture de printemps ? Les désherbages déjà réalisés limitent-ils l’éventail d’espèces possibles ?

D’ores et déjà, ce qui est sûr, c’est que l’ensemble de la conduite des cultures en place doit être adaptée au contexte climatique.

Inventaire de la culture en place

Le seuil de retournement d’une céréale se situe généralement entre 50 et 100 plantes/m², selon la répartition spatiale des plantes, le stade de levée du stress, la fertilité du sol. Il faut rajouter à cela l’état de croissance des plantes rescapées de l’accident climatique.

Dans le contexte 2018, l’excès d’eau et le gel sont apparus ou se sont prolongés jusqu’au milieu du tallage. Cela limite les capacités de rattrapage par le tallage herbacé avant le début de la montaison.

De plus, là où les excès d’eau se sont manifestés, les cultures risquent de rester en situation d’hypoxie jusqu’à l’arrivée d’une franche amélioration météorologique (sans doute en cours cette semaine grâce au temps sec), avec des systèmes racinaires pénalisés. Dans ces situations, il est nécessaire de s’assurer que les parcelles ne présentent pas d’accident de structure : si les sols sont compactés, les cultures rencontreront encore plus de difficulté à s’installer correctement.

Cela milite donc pour privilégier les fourchettes hautes de seuil de retournement de la culture, car on peut douter de la vigueur des plantes restantes pour compenser la faible densité.

LES CEREALES D’HIVER ONT DE FORTES CAPACITÉS DE COMPENSATION !

Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer la capacité de compensation des céréales d’hiver, notamment si elles sont bien conduites. Avec une densité de 100 plantes/m², il reste tout à fait envisageable de réaliser 75 à 90 % de l’objectif initial de rendement, en adaptant la conduite : les plantes vont taller tardivement, en s’appuyant sur le système racinaire déjà mis en place. De plus, la faible densité de peuplement va conduire à une hausse de la fertilité épi.

De même, des parcelles totalement défoliées suite à du gel peuvent repartir et être productives, tant que les racines et les méristèmes des plantes ne sont pas atteints. La séquence climatique de l’année peut engendrer des alternances de gel-dégel et donc des dégâts cellulaires, que l’on peut supposer limités aux feuilles. Il est donc important de ne pas se faire un avis sur la culture sur le seul critère de la défoliation, mais bien de surveiller l’émission de nouvelles feuilles et valider l’intégrité des apex.

Figure 1 : Rattrapage des cultures après gel hivernal – essai 2012 de Mery-sur-Seine (10)

Inventaire des cultures de remplacement

Il ne faut remplacer une culture endommagée pendant l’hiver que par une alternative plus rentable. Cela signifie qu’il faut prendre en compte les investissements déjà réalisés sur la culture altérée, ceux qui seraient nécessaires pour une nouvelle culture et l’espérance de chiffre d’affaire. A cela, il faut rajouter les conséquences de précédentes interventions qui pourraient impacter la culture de remplacement (désherbage, apports d’engrais).

Dans les milieux les plus profonds tels que les fonds de vallée, les alternatives peuvent être nombreuses compte-tenu de la capacité des sols à alimenter des cultures de printemps ou d’été (orge, pois, maïs, tournesol, etc.). Dans ces milieux potentiellement touchés par les inondations, il est probable que les céréales aient été longuement immergées et soient totalement détruites. De plus, le sol est encore engorgé en eau, donc aucune intervention n’est envisageable pour le moment, ce qui laisse un peu de temps pour raisonner les actions à mener.

Dans les milieux les plus superficiels qui, eux, auraient été plus vraisemblablement touchés par le gel (voir carte 1) plutôt que par les excès d’eau, l’implantation d’une culture d’été est plus délicate compte-tenu de l’espérance de rendement limitée. Mieux vaut alors accompagner la culture en place, avec un itinéraire technique adapté, éventuellement en resemant les zones les plus touchées (voir encadré). Ou alors, prendre la décision rapidement d’implanter une culture de printemps dès que les conditions climatiques le permettront.

Carte 1 : Température minimale atteinte sous abri entre le 20 février et le 5 mars 2018


Resemer une céréale à paille

Pour des céréales d’hiver, semer des « rustines » est possible en adaptant la précocité variétale.
Pour du blé, il faut désormais s’orienter vers des variétés alternatives, voire de printemps pour s’assurer que les cycles ne traînent pas.
Pour les orges, le basculement vers un type printemps est la solution la plus évidente.
Dans les deux cas, resemer la variété d’origine fait courir le risque d’une phénologie tardive, et d’un gros décalage à la moisson.


Adapter les itinéraires des cultures altérées

Des plantes qui ont longtemps souffert d’excès d’eau, ou du gel, seront peu vigoureuses et vont nécessiter des interventions particulières.

En premier lieu, le désherbage doit être réfléchi : une parcelle clairsemée risque de se salir rapidement, mais appliquer un herbicide sur des plantes fragiles et dans des conditions encore froides peut accentuer les dégâts. Le choix du produit et des conditions d’application sont donc primordiales. Il est important de ne pas stresser davantage les plantes en appliquant une spécialité provoquant une phytotoxicité. Mais on ne peut pas non plus se permettre de laisser les adventices se développer, surtout si des apports d’engrais ont été effectués.

En second lieu, la fertilisation (azote et soufre) doit être ajustée : les excès d’eau ont vraisemblablement lessivé le profil, laissant peu de ressources dans de nombreux secteurs. De plus, les plantes présentent surement des racines peu fonctionnelles. Il est donc nécessaire de combler les besoins des plantes. Cependant, ces besoins vont rester faibles dans un premier temps car les plantes vont présenter de faibles croissances instantanées, et donc des CAU (Coefficient Apparent d’Utilisation) des engrais faibles. Le « biberonnage » est donc de mise pour accompagner les cultures, tout en préservant les ressources pour la montaison, stade critique du rattrapage des cultures.

Les interventions ultérieures telles que la régulation des cultures et la protection fongicide seront également à repenser totalement en fonction de l’état du couvert et de la dynamique d’apparition des maladies.

Vers une reprise franche et des diagnostics faciles ?

Les conditions de reprise annoncées pour la fin de la semaine et le début de la semaine prochaine sont favorables : les températures remontent franchement (+8 à +10°C en 3 jours), et redeviennent positives. Il s’agit donc d’un scénario favorable à l’identification rapide des dégâts, et au rétablissement éventuel des cultures (à la différence de 2012, où les gelées à répétition avaient provoqué une dégradation progressive).

Malgré tout, nous resterons autour des normales saisonnières et les sols ont été refroidis. Même si les plantes reprennent leur croissance, elles ont perdu au cours du mois de février une partie de l’avance de stade gagnée en début d’hiver.

Jean-Charles DESWARTE (ARVALIS – Institut du végétal)