Stratégies insecticides : un choix limité à surtout bien positionner

La surveillance des parcelles révèle une présence de pucerons et/ou de cicadelles ? Il y a donc un risque de transmission de maladies virales et il faut y remédier !

Pour protéger les céréales à paille contre la jaunisse nanisante de l’orge (JNO) et la maladie des pieds chétifs, il est nécessaire de limiter au maximum l’abondance et la durée d’activité dans les parcelles des insectes vecteurs de virus, pucerons et/ou cicadelles.

Les conditions climatiques, notamment la température, influent fortement sur leur activité. Des températures douces, sans être nécessairement chaudes, peuvent être favorables à la propagation des maladies dans la parcelle même si l’abondance des populations semble limitée. Si le climat ne peut être un allié pour limiter rapidement les risques, il faut être réactif et recourir à une protection insecticide.

Quand traiter ?

La date de traitement ne doit pas être définie en fonction du stade de développement de la culture ou d’une date calendaire. Seules les observations de pucerons sur plantes dans la culture, ou les captures sur pièges englués pour les cicadelles, permettent de déterminer la période optimale de traitement. Ceci est valable pour la première intervention comme pour un éventuel renouvellement.

Pourquoi ? Parce que les produits actuellement disponibles ont une action de contact, ce qui leur confère une persistance d’action assez limitée. La lutte sera efficace vis-à-vis des ravageurs présents au moment du traitement et seules les feuilles déjà développées seront protégées.

Si la végétation a une vitesse de croissance rapide et que les colonisations se poursuivent après le traitement, celui-ci présentera une efficacité pouvant être jugée insuffisante à cause d’individus arrivés après le traitement. Dans cette situation, l’application insecticide devra être renouvelée.

A notre connaissance, il n’y a pas de travaux récents disponibles permettant de définir les conditions optimales d’efficacité des traitements concernant le type de buse ou la période de traitement dans la journée. S’agissant de produits de contact, il est déconseillé d’appliquer le produit insecticide avec un faible volume de bouillie.

Avec quel produit ?

Le choix du produit est malheureusement assez simple compte tenu de la faible diversité des substances actives disponibles. La majorité des produits homologués à ce jour sur les céréales à paille est à base d’une substance active appartenant à la famille des pyréthrinoïdes.

Quelques différences d’efficacité sont constatées entre les substances actives de cette famille en situation de fortes infestations de pucerons dans nos conditions expérimentales. Les produits à base de lambda-cyhalothrine (référence : Karaté Zéon) présentent la meilleure efficacité et la meilleure régularité.

Cependant, dans des conditions optimales d’application et face à des infestations moins soutenues, la différence d’efficacité avec des spécialités à base d’une autre pyréthrinoïde (tau-fluvalinate, esfenvalerate, cyperméthrine, gamma-cyhalothrine, zeta-cypermethrine…), appliquées à leur dose maximale autorisée, reste le plus souvent assez faible. Ainsi, les gains de rendement acquis avec trois spécialités lors des essais 2018 et 2019 s’avèrent en moyenne très proches (figure 1).

Figure 1 : Rendement moyens obtenus sur orge selon trois spécialités à base de pyréthrinoïdes – Regroupements d’essais ARVALIS sur les campagnes 2018 et 2019

Si l’application de l’insecticide vise également les cicadelles, la solution choisie doit être autorisée pour cet usage. Certains produits, notamment à base de cyperméthrine, ne sont pas homologués vis-à-vis des cicadelles. Sur cette cible, aucune différence d’efficacité n’a été mise en évidence entre les spécialités commerciales. Dans nos essais antérieurs, deux applications permettaient rarement d’obtenir un niveau d’efficacité équivalent à une protection à base d’imidaclopride.

Enfin, il est nécessaire de veiller aux contraintes spécifiques accompagnant chaque spécialité, que ce soit le nombre maximal d’applications autorisées (de 1 à 3), le délai nécessaire entre 2 applications (pouvant aller jusqu’à 21 jours) ou encore la ZNT (de 5 à 50 m).

Dans le cas où les pucerons sont présents quand la culture nécessite un traitement herbicide, il conviendra alors de s’assurer que le mélange est autorisé car les spécialités présentent des contraintes spécifiques.

DES SPÉCIALITÉS DIVERSIFIANT LES FAMILLES CHIMIQUES

Deux spécialités comportent une substance active n’appartenant pas à la famille des pyréthrinoïdes :
– Karaté K, associant lambda-cyhalothrine (IRAC 3) et pyrimicarbe (IRAC 1 A). Appliqué à la dose de 1 l/ha, il conduit à une performance similaire à celle de la référence Karaté Zéon.
– Daskor 440, associant cyperméthrine (IRAC 3) et chlorpyriphos-ethyl (IRAC 1 B). Les premiers essais témoignent d’une bonne efficacité pour une application à la dose de 0,625 l/ha (soit 5/6e de la dose homologuée).

Les gains de rendement qu’elles procurent (figure 2) sont comparables à ceux de la référence Karaté Zéon (lambda-cyhalothrine) mais pour un coût significativement plus élevé.

Figure 2 : Rendements moyens obtenus sur orge selon les spécialités aphicides (pyréthrinoïdes associées) – Regroupements d’essais ARVALIS sur les campagnes 2018 et 2019

La spécialité Teppeki, à base de flonicamide (IRAC 29), autorisée uniquement sur blé, dispose de l’usage pucerons, le nouveau catalogue des usages regroupant les cibles pucerons du feuillage et pucerons des épis. Son intérêt pour la protection contre la JNO n’a pas été mis en évidence dans nos essais dans le cas d’applications positionnées comme celles de la référence : le gain de rendement est proche de 50 % de celui obtenu par la référence (moyenne sur 6 essais). Son usage à l’automne n’est pas préconisé par la firme détentrice.

Par conséquent, seules des spécialités contenant des pyréthrinoïdes sont recommandées. Cette situation est favorable à l’apparition de résistance au sein des populations de pucerons et/ou de cicadelles.

Tableau 1 : Caractéristiques des substances actives et principales spécialités insecticides contre les insectes vecteurs de viroses

Attention au risque de résistance

Ce risque ne doit pas être négligé sachant qu’une population de Sitobion avenae présentant une résistance à des substances actives de la famille des pyréthrinoïdes a été mise en évidence au Royaume-Uni, en Irlande ainsi qu’en Allemagne. Cette population résistante n’a pas encore été identifiée en France. De même, aucun cas de résistance n’a été mis en évidence en France, ni ailleurs en Europe, chez d’autres populations de pucerons des céréales (R. padi notamment) ou de cicadelles P. alienus. Cependant, par mesure de précaution, et à défaut de pouvoir diversifier les familles chimiques, il est conseillé de diversifier autant que possible les spécialités :
1 – en recourant à des produits associant deux familles chimiques (Karaté K ou Daskor 440),
2 – en diversifiant les produits de la famille des pyréthrinoïdes en fonction de la classe à laquelle la substance appartient. L’esfenvalérate appartient à la classe des Benzyl-carboxylates, le tau-fluvalinate appartient à la classe des Valinates alors que les autres pyréthrinoïdes appartiennent tous à la même classe des Cyclopropane carboxylates.

Même si les chances d’éviter l’apparition d’une résistance sont faibles, cette précaution d’usage à mettre en œuvre en mosaïque à l’échelle d’un bassin de production peut contribuer à retarder son éventuelle apparition.

Cas particulier des variétés d’orge tolérantes à la JNOLa protection aphicide vise les céréales à paille sensibles à la JNO. Certaines variétés d’orge(*) sont tolérantes à cette virose : l’infection virale n’entraîne que peu de symptômes. En situation de forte exposition à des pucerons virulifères, leur perte de rendement n’est pas nulle mais très nettement plus faible que celle des variétés sensibles. Ainsi sur 4 essais soumis à une très forte pression de JNO, la perte de rendement d’une variété tolérante est de seulement 10 q/ha, contre 80 q/ha pour une variété sensible. Face à une pression modérée, le gain de la lutte aphicide est alors très faible pour les variétés tolérantes, voire nul. Il reste donc recommandé de ne pas semer trop tôt ces variétés pour bénéficier pleinement de la tolérance et ce d’autant plus qu’elles ne sont pas protégées contre la maladie des pieds chétifs. La surveillance vis-à-vis des cicadelles est donc à maintenir.

(*) L’offre variétale en orges 6 rangs tolérantes à la JNO s’est enrichie avec deux nouvelles inscriptions au catalogue français, Coccinel et KWS Jaguar, en complément des variétés Amistar, Domino, Margaux, Hexagon et KWS Borrelly. Et d’autres variétés, comme Rafaela et Hirondella, sont inscrites au catalogue européen.
Sur blé, aucune variété tolérante ou résistante à la JNO, ou à la maladie des pieds chétifs, n’est disponible.

Nathalie ROBIN (ARVALIS – Institut du végétal)