Ouest : Parcelles en excès d’eau : quelles conséquences sur le développement des céréales ?

Beaucoup de parcelles sont en hydromorphie, voire en submersion complète pour les cas les plus graves. Le point sur les réactions physiologiques des céréales à ces accidents.

Etant donné les pluies très importantes des derniers mois, ajoutées à celles de ces derniers jours, de nombreuses parcelles de céréales sont en excès d’eau. Les secteurs les plus touchés par les ennoiements sont les plaines de Lomagne, le Lauragais et l’Aude, et plus ponctuellement, quelques zones de fonds de vallées du Tarn et de l’Aveyron.

Dans ces secteurs, les parcelles sont en hydromorphie depuis plusieurs semaines. Leur enracinement est moyen et leur tallage peu conséquent. Il a suffi de 20 mm pour retrouver de l’eau stagnante dans toutes les zones d’hydromorphie. Les plaines sont concernées mais également des parcelles en coteaux dans les zones de résurgence de l’eau.

Suite à la crue de rivières, des parcelles sont parfois en submersion complète : même les parties aériennes sont recouvertes d’eau pendant plusieurs jours. Dans ces situations de fonds de vallée, les sols sont le plus souvent profonds et permettent des rattrapages de fin de cycle (montée à épi, PMG) quand ils ne sont pas trop tassés.

Figure 1 : Cumul de pluies (en mm) du 1er octobre 2019 au 29 février 2020 (à gauche), et du 1er au 9 mars 2020 (à droite)

 

La sensibilité à l’excès d’eau varie selon l’espèce et le stade des céréales

Les différentes espèces de céréales à paille ne présentent pas la même sensibilité à l’excès d’eau. Le seigle et le triticale sont les plus tolérantes tandis que l’orge d’hiver et le blé dur sont les plus sensibles, le blé tendre étant intermédiaire.

Par ailleurs, la sensibilité du blé à l’ennoiement est variable selon le stade de développement :
– Les plantes à 3 feuilles et au stade tallage sont peu sensibles à l’ennoiement et peuvent résister à l’excès d’eau pendant une période assez longue (plus de deux semaines).
– Les plantes en montaison, où des composantes importantes du rendement se mettent en place, sont très sensibles aux excès d’eau.

Les seuils de retournement sont compris entre 80 et 100 plantes/m², ces seuils dépendant de la capacité de rattrapage (espèce, type de sols…) ainsi que de l’homogénéité de la densité restante dans la parcelle.

L’hydromorphie entraîne un ralentissement voire un arrêt de la croissance

L’hydromorphie provoque en priorité une anoxie, c’est-à-dire une baisse de la disponibilité de l’oxygène nécessaire à la respiration des cellules. Ceci engendre dans la plante un ralentissement voire un arrêt du métabolisme. En particulier, les racines cessent de fonctionner, ce qui induit la fermeture des stomates (et donc le blocage de la photosynthèse) et l’arrêt de l’absorption d’azote.

Les évolutions de stades des cultures en excès d’eau sont fortement ralenties car, un sol saturé d’eau peine à se réchauffer, ce qui agit sur les températures ressenties par la plante, notamment au niveau de l’apex. La croissance ralentie freine l’allongement des entre-nœuds, ce qui aboutit à une montaison lente et éventuellement à des plantes courtes.

Quelles conséquences sur les composantes de rendement ?

 ENGORGEMENT DURANT LA MONTAISON : CAS DES SEMIS D’OCTOBRE À DÉCEMBRE

A la reprise de croissance, une plante doit être en capacité de s’alimenter correctement. Or, l’excès d’eau empêche cette alimentation. Lorsque l’hydromorphie perdure plusieurs jours, la montée à épi et la fertilité des épis sont peu à peu affectés. Si la plante a la capacité – dès que l’eau s’écoule – de compenser son retard d’absorption d’azote, les conséquences seront limitées. Sinon, les talles vont rapidement régresser et l’impact sur le rendement final sera conséquent.

Les pluies importantes (parfois plus de 70 mm depuis début mars) ont entraîné des pertes d’azote par lixiviation. Pour les apports d’azote déjà réalisés, une réévaluation de la quantité d’azote disponible dans le sol sera peut-être nécessaire.


Parcelle en montaison – Gers (C. Picard – ARVALIS)

ENGORGEMENT EN EAU PENDANT LE TALLAGE : CAS DES SEMIS TARDIFS

Le tallage est normalement la phase la plus tolérante à l’excès d’eau, de début tallage jusqu’au redressement. Au cours de cette phase, les besoins instantanés en photosynthèse sont faibles, et la principale composante du rendement affectée est le niveau de tallage. En effet, l’arrêt de l’absorption de l’azote par les racines induit une carence azotée au niveau des parties aériennes, qui inhibe l’émission des talles. Ceci est réversible lorsque les conditions s’améliorent, mais ce n’est pas forcément souhaitable : les talles qui apparaîtraient tardivement resteraient chétives et très peu concurrentielles par rapport aux talles principales. Si chaque plante porte 2 ou 3 tiges correctement développées, la suite de l’élaboration du rendement n’est pas forcément compromise.

Tant que le blé reste sous l’eau, il n’y a pas d’accroissement de biomasse, ni d’émission de nouvelles talles et de nouvelles racines. Une fois l’eau évacuée, l’hydromorphie racinaire va perdurer au moins une à deux semaines, voire plus. Cela peut impacter le potentiel de rendement final.

La gestion de la fertilisation et du désherbage de ces parcelles sera primordiale afin de permettre une bonne reprise de tallage et une bonne montée à épis…

Dans ces situations, un premier apport d’azote est à prévoir dès le stade 3-4 feuilles pour accompagner le tallage. Rappelons qu’un apport d’azote ne doit être réalisé que si les conditions climatiques permettent de le valoriser rapidement : températures positives et pluie d’au moins 10-15 mm prévus dans les 6-8 jours après sa réalisation.

Excès d’eau : les conséquences en chiffres
Les conséquences d’un excès durable d’eau avaient été évaluées il y a quelques années sur une plateforme d’essais dans la Beauce (Ouzouer-le-Marché, 41). Un site d’essai a été touché par une hydromorphie de plusieurs mois.
La comparaison avec un autre site d’essai proche, non touché par cet excès d’eau, a permis de chiffrer quelques impacts sur la croissance des plantes et les composantes de rendement :
• -50 % de talles développées en montaison,
• -40 % de biomasse au stade épi 1 cm,
• carence très marquée en azote (Indice de nutrition azotée = 0,6 à floraison),
• 15 jours de retard au stade « épi 1 cm », épiaison également retardée,
• -33 % d’épis,
• -40 % de grains/m²,
• -30 % de rendement.
La parcelle touchée par l’hydromorphie n’a jamais rattrapé son retard de biomasse et de statut azoté.


Parcelle à Lavaur (81) – Mars 2020 (E. Deschamps – ARVALIS)

Aude BOUAS (ARVALIS – Institut du végétal)
Eva DESCHAMPS (ARVALIS – Institut du végétal)
Matthieu KILLMAYER (ARVALIS – Institut du végétal)
Jean-Luc VERDIER (ARVALIS – Institut du végétal)